Les cafés infusés et traitements expérimentaux divisent le monde du café depuis plusieurs années. L’ajout d’ingrédients naturels ou artificiels au café permet aux producteurs de créer des profils aromatiques audacieux et uniques qui séduisent les consommateurs en quête de nouveauté.
Certains y voient une progression naturelle et bienvenue de l’innovation dans les méthodes de traitement expérimentales. D’autres, en revanche, considèrent les cafés infusés comme inauthentiques et trompeurs, ce qui en fait un sujet polarisant et controversé.
Au sein de ce débat plus large se pose une question spécifique : existe-t-il une différence entre l’infusion naturelle et l’infusion artificielle ? Pour beaucoup, la seconde est jugée moins désirable, car elle pourrait compromettre les caractéristiques intrinsèques du café, voire enfreindre les réglementations sanitaires.
Quelles que soient les opinions, il est clair que la catégorie des cafés infusés et traitements expérimentaux se diversifie. Malgré une demande croissante, certains continuent de s’interroger sur la légitimité des cafés infusés artificiellement, en particulier, au sein du café de spécialité.
Les cafés infusés et traitement expérimentaux bousculent l’industrie:
En matière de traitement du café, les méthodes lavées, natures et honey sont de loin les plus courantes . Mais depuis une dizaine d’années, les techniques de traitement expérimentales et avancées se sont multipliées, permettant aux producteurs de créer des profils aromatiques “funky” qui séduisent particulièrement les jeunes consommateurs.
De plus, ces techniques novatrices peuvent souvent augmenter les scores en tasse de quelques points, ce qui permet aux producteurs d’ajouter de la valeur à leur café et potentiellement d’en tirer de meilleurs prix. Mais ces méthodes comportent des risques. Le traitement expérimental demande beaucoup de capitaux et de main-d’œuvre, tout en produisant de faibles volumes de café. Les producteurs doivent aussi avoir accès aux bons équipements, à l’infrastructure adéquate et à des connaissances avancées sur la fermentation et son contrôle.
Sans ces éléments, les agriculteurs s’exposent à des risques financiers importants, sacrifiant de grandes quantités de cerises pour peu ou pas de rendement.
L’attrait des prix plus élevés a toutefois incité un petit nombre croissant de producteurs à aller encore plus loin dans le traitement expérimental, ouvrant la voie aux cafés infusés et co-fermentés.
En 2018, des rumeurs ont circulé sur une nouvelle méthode de “traitement par infusion” consistant à co-fermenter les grains de café vert avec des ingrédients naturels comme des fruits et des épices. Le résultat était des profils aromatiques très intenses et prononcés, en lien direct avec les ingrédients utilisés. Si le producteur ajoutait de l’ananas, par exemple, le café aurait des arômes et des saveurs d’ananas – chose impossible à obtenir uniquement par le terroir et les méthodes traditionnelles. Pour certains, ces techniques de co-fermentation ont été révolutionnaires. Elles ont donné aux producteurs un contrôle sans précédent sur le profil aromatique final, voire le score en tasse, de leurs cafés, répondant aux demandes spécifiques des torréfacteurs et consommateurs. Dans certains pays, notamment là où l’intérêt pour les cafés aux arômes non conventionnels augmente, les cafés infusés ont même ouvert de nouveaux débouchés aux producteurs.
Les cafés infusés et traitement expérimentaux, la question de la transparence:
Dans une industrie qui prône l’autonomisation des producteurs, pourquoi les cafés infusés sont-ils devenus un sujet aussi controversé ?
La réponse réside dans la transparence. Depuis ses débuts, le café de spécialité valorise le terroir, l’origine, la culture soignée et le traitement méticuleux, qui donnent lieu à des arômes naturellement présents. Certains estiment que les cafés infusés ou co-fermentés vont à l’encontre de ces valeurs, compromettant leur authenticité.
Le débat entre les “pro-terroir” et les “pro-infusion” s’étend aussi aux compétitions. Fin 2023, la Specialty Coffee Association a mis à jour les règles du World Barista Championship pour autoriser les cafés infusés et co-fermentés, à condition que les ingrédients soient ajoutés avant le stade du “café vert”.
En revanche, la compétition Best of Panama 2024 a exclu les cafés infusés. Les organisateurs ont justifié cette décision par la volonté de “protéger l’identité authentique” du café panaméen, sans influence extérieure sur les saveurs.
Le Panama, qui obtient régulièrement des prix élevés pour ses cafés, a un intérêt à préserver son terroir. Pourtant, la décision de la SCA Panama a suscité des réactions partagées. Certains ont salué la priorité donnée à la “pureté” et à l’expression du terroir, d’autres ont déploré le rejet de l’innovation et de l’expérimentation.
En réalité, le débat est plus complexe que le simple “terroir contre infusion”. Comme pour toute méthode avancée, les producteurs ont besoin de cerises mûres, de haute qualité, avec un niveau optimal de Brix et de densité. Les cafés doivent présenter un bon équilibre entre acidité, douceur et corps, et idéalement atteindre un score de 84 points ou plus pour produire des lots infusés ou co-fermentés d’excellence.
Affirmer que ces cafés donnent automatiquement un avantage injuste aux producteurs est donc inexact. Les lots infusés ou co-fermentés de haute qualité classés en café de spécialité exigent également beaucoup de travail, de rigueur et de bonnes pratiques agricoles.
Les cafés infusés et traitement expérimentaux, création de valeur pour les producteurs:
Le débat entre terroir et infusion continue de diviser le monde du café de spécialité, et il est essentiel d’envisager les deux points de vue.
Les cafés infusés sont souvent perçus à travers un prisme moral, considérés comme bons ou mauvais, purs ou altérés. Pourtant, il est paradoxal de constater que la grande majorité des consommateurs ne boivent pas leur café noir, préférant y ajouter du lait ou du sucre. Ce contraste met en lumière une certaine incohérence : bon nombre de professionnels qui critiquent l’infusion à la source n’hésitent pas, eux-mêmes, à proposer des cafés modifiés en aval, en y ajoutant arômes ou ingrédients selon les préférences des clients.
En effet, le discours autour des méthodes d’infusion et de co-fermentation met en lumière un double standard. De nombreux cafés facturent des suppléments pour personnaliser les boissons avec des sirops ou arômes qui masquent les arômes délicats du café. Par ailleurs, les torréfacteurs vendent depuis longtemps des cafés aromatisés.
La popularité croissante des méthodes de traitement expérimental et des profils aromatiques “funky” montre qu’il existe une demande pour ces cafés – une opportunité que les producteurs ne devraient pas se voir refuser.
L’’essentiel est de savoir si l’innovation peut créer de la valeur pour les producteurs. S’il y a une demande, alors rien ne devrait empêcher les producteurs d’en proposer davantage.
DE NOUVELLES CATÉGORIES DE CAFÉS INFUSÉS ÉMERGENT:
Alors que la demande pour des cafés aux arômes inhabituels croît, les cafés infusés et co-fermentés représentent une solution viable. Mais tant qu’il n’existera pas de définitions formelles de ces méthodes, les opinions resteront divisées.
Les termes “infusé”, “aromatisé” et “co-fermenté” sont souvent utilisés de manière interchangeable, ce qui complique leur distinction et accentue les craintes sur le manque de transparence. De plus, il n’y a pas de consensus sur le moment où l’infusion doit se produire dans la chaîne de valeur.
Certains estiment que l’infusion peut avoir lieu à n’importe quelle étape, y compris après la torréfaction. D’autres affirment que seule la graine verte peut être infusée. Le danger, au final, est que la valeur du café soit retirée aux producteurs pour être captée dans les marchés consommateurs. Dans ce sens, les marques pourraient exploiter cette tendance, mais proposer des cafés aromatisés qui manquent d’intégrité post-récolte, ce qui retire de la valeur aux producteurs. Cela souligne aussi l’importance des ingrédients utilisés dans les cafés infusés ou co-fermentés. Bien que cette tendance ait commencé avec des ingrédients naturels comme les fruits et les épices, on observe de plus en plus de cas d’utilisation d’arômes artificiels pour obtenir des résultats similaires.
Préoccupations sanitaires:
Les arômes artificiels sont souvent perçus comme inférieurs aux ingrédients naturels. Cela soulève des questions sur leur impact sur la réputation des producteurs et torréfacteurs, surtout s’il y a peu de transparence ou si les cafés sont certifiés biologiques.
Les cafés infusés artificiellement ont souvent un goût unidimensionnel, bien que prononcé. Les cafés infusés naturellement, comme les co-ferments, présentent une structure supérieure.
Les cafés infusés de manière simple, notamment avec des huiles essentielles, sont parfois critiqués car ils contournent le travail de compréhension du microbiome du café. Ce type d’ajout est perçu comme opposé à la mise en valeur des bienfaits d’une récolte soignée et d’un traitement post-récolte maîtrisé, qui permettent de révéler la complexité naturelle du café. Bien que les huiles essentielles soient d’origine naturelle, certains estiment que s’éloigner des ingrédients entiers et peu transformés donne un “avantage injuste” aux producteurs par rapport à ceux qui misent sur le terroir.
Avec la montée des préoccupations liées à la santé, les consommateurs pourraient rejeter les cafés infusés artificiellement au profit de méthodes naturelles.
La perception des enjeux de santé semble être l’un des principaux facteurs expliquant pourquoi les cafés infusés artificiellement sont perçus comme problématiques. Des études scientifiques ont en effet établi des liens entre certains additifs alimentaires artificiels et des risques pour la santé. L’industrie du café a donc la responsabilité collective d’assurer une transparence totale sur les ingrédients ajoutés, naturels ou artificiels, qu’ils soient intégrés pendant le traitement ou après la torréfaction.
La demande des consommateurs comme facteur décisif:
L’intérêt pour les cafés infusés et co-fermentés est indéniable, et les torréfacteurs ne devraient pas l’ignorer. Toutefois, la demande varie selon les marchés.
Avec un fort attrait pour les cafés très innovants, le Moyen-Orient, la Chine, la Corée du Sud, Taïwan et le Japon figurent parmi les plus gros marchés d’exportation pour ces cafés.
La demande augmente également en Europe et aux États-Unis. Cependant, les consommateurs de ces régions peuvent trouver ces saveurs expérimentales trop acides ou fermentées, et sont souvent plus sensibles au rapport qualité-prix – ce qui peut limiter l’attrait des cafés infusés artificiellement.
Le café de spécialité doit rester ouvert aux cafés infusés, surtout en l’absence de définitions claires et universelles. Il reste encore beaucoup à apprendre sur le rôle de la fermentation et son impact sur les profils sensoriels. Certaines recherches suggèrent même que la co-fermentation ne contribue pas directement à l’arôme, mais crée simplement les conditions pour des transformations biochimiques au sein de la graine.
Ces réflexions montrent qu’il faut faire attention à ne pas freiner l’innovation quand elle crée de la valeur pour les producteurs et les consommateurs.
Chaque mois, retrouve un article de blog ici .
SOURCES:
Podcast Café Sans Filtre, #36 La tendance des cafés très fermentés, infusés et funky.
Co-fermentation, une révolution pour le café de spécialité

